La chapelle Notre-Dame-de-Ben-Va (« bon voyage » en provençal) se trouve sur la route d’Entrecasteaux, à 3 km de Lorgues : elle est dédiée à la vierge Marie, censée offrir sa protection, physique et morale, à ceux qui traversent son porche, pèlerins, voyageurs ou simples paysans locaux.
Classée Monument historique en 1929, elle présente un ensemble remarquable de fresques du début du XVIème siècle, à l’instar des chapelles peintes de l’arrière-pays niçois.
Elle consiste en une nef unique, avec une sacristie creusée à même le rocher, et un porche vouté lui aussi orné de fresques. Après la seconde guerre mondiale, une route a été construite, pour protéger le porche du passage des véhicules.
L’artiste était probablement un peintre itinérant venu du Piémont voisin, au début du XVIème siècle. Certains détails, comme l’armure de Saint-Michel, les riches couvre-chefs des personnages au paradis, suggèrent la première décennie du XVIème siècle, environ.
Les fresques, peintes à même un enduit frais sur le mur (l’intonaco) témoignent d’une riche palette de couleurs, suggérant un investissement important du donateur. (Il n’y a cependant pas d’or …)
Le porche
De plan carré, couvert d’une voute à arches brisées, laisse encore deviner les symboles des quatre Évangélistes, dans une voute étoilée. Il faut imaginer que la route était au niveau du pied des piliers, avant d’avoir été largement surbaissée pour laisser passer voitures et camions.
Le pilier sud-est, le plus proche de Lorgues, est dédié à Saint Fiacre, patron des jardiniers, et Saint Maur, le successeur de Saint Benoît à l’abbaye du Mont Cassin, en Italie. Ces deux bénédictins soignent les crises de goutte et toutes les maladies des membres inférieurs (rhumatismes etc), maux des jardiniers. La face intérieure du pilier nous montre Saint Blaise, protecteur des tisserands, thérapeute pour tous ceux qui souffrent de maladies pulmonaires.
Le pilier sud-ouest présente la sainte famille et sur sa face interne Saint Christophe. Les uns et les autres garantissent les voyageurs de la « male mort », la mort subite.
Les piliers nord-est et nord-ouest laissent encore deviner Saint Hospice de Nice et Saint Bernard de Menthon. Le choix de cette iconographie, que les hommes d’autrefois connaissaient bien, traduit leurs préoccupations, qu’ils soient paysans à Lorgues, ou bien marchands ou pèlerins sur le chemin de Compostelle.
Le tympan, au-dessus de la porte (qui est un rajout tardif) se partage entre l’Annonciation, à droite, et à gauche Saint Georges terrassant le dragon, et à l’arrière-plan, Sainte Marguerite. Il faut imaginer la chapelle fermée par une simple grille de bois, qui permettait au passant d’apercevoir les fresques à l’intérieur.
L’intérieur de la chapelle
Les fresques rappellent au voyageur la dernière étape de la vie : la pesée des âmes par Saint Michel, l’enfer, le purgatoire et le paradis.
La partie représentant l’enfer est presque entièrement perdue, mais on peut imaginer, à partir de l’iconographie fréquente dans les Alpes maritimes, un immense Léviathan avalant les damnés, plongés dans d’immenses tourments. En-dessous de cette vision infernale, sans doute se déroulait la « cavalcade des vices », mise en scène des sept péchés capitaux.
Sur le bord de la composition, Saint Michel pèse les âmes : celles qui font dangereusement pencher la balance iront en enfer, où l’on voit encore quelques démons qui les tourmentent et les mènent vers la gueule du Léviathan (aujourd’hui disparu). En haut de la composition, deux anges dans un fond bleu, luttent avec des démons, tandis qu’un troisième tente de leur arracher les âmes de nouveaux nés morts avant le baptême.
En face de la fresque de l’enfer nous est proposée une vision du paradis. Au centre de la composition siège la vierge Marie, à côté du Dieu. A gauche de la composition se trouvent les élus, parés de chapeaux magnifiques, tous tenant le livre saint. A droite se presse toute la hiérarchie de l’Eglise, pape, cardinaux, évêques et simples abbés. Des anges musiciens font partout résonner la musique céleste, tout comme ceux qui accueillent les justes, sur la gauche de la composition, avec Saint Pierre leur ouvrant les portes étroites de la Jérusalem céleste.
Entre paradis et enfer, au-dessus de l’entrée se pressent les pécheurs en repentance, serrés dans la cage du purgatoire. Des anges à l’élégance toute italienne leur proposent à boire pour les rafraîchir, alors qu’une vapeur d’eau brûlante semble sortir de la cage.
Sous cette composition, faisant face aux sept péchés capitaux se déroule la fresque des sept vertus, en exact contrepoint. Sur le côté, Marthe et Marie, la pécheresse repentie, particulièrement honorée à Saint-Maximin, invitaient peut-être les fidèles à la repentance, et au pèlerinage aussi.
Saint Sébastien protégeait des maladies, épidémies fréquentes en ce temps-là, et Saint Jacques veillait sur les pèlerins de Compostelle. A gauche de la porte en sortant, on voit Saint Eloi, patron des maréchaux ferrants, bien utiles aux voyageurs.
Tous ces personnages sont comme un livre ouvert que les gens d’autrefois savaient décrypter, à défaut de savoir lire les Écritures, et traduisent les préoccupations de leur temps.